Copier
This is some text inside of a div block.

Comment les influenceurs façonnent la consommation des jeunes sur les réseaux sociaux ?

21/7/2025

Citer cet article (ISO-690) :
Alice MAGA
,  
2025
,  
Comment les influenceurs façonnent la consommation des jeunes sur les réseaux sociaux ?
,  
CEDIRE.
Référence de l'illustration :
Emily Wade, Unsplash

Introduction

Placements de produits, invitations, publicités… Les influenceurs se sont imposés sur les réseaux sociaux et détiennent aujourd’hui un pouvoir numérique singulier. Avec l’essor d’Internet et des plateformes sociales, de nouveaux espaces d’expression ont émergé, propulsant cette activité au cœur des usages numériques. La popularité du réseau social TikTok a fortement contribué à structurer ce métier et à lui offrir une visibilité sans précédent. Créé en 2016, ce réseau social a rapidement bouleversé les usages numériques en popularisant les vidéos courtes et dynamiques, jusque-là peu développées sur les plateformes sociales. Progressivement, l’application chinoise a fait émerger une génération d’influenceurs professionnels. Depuis quelques années, cette activité s’est professionnalisée (1) :  les contenus partagés deviennent plus élaborés et qualitatifs, avec l’appui d’équipes spécialisées ainsi qu’une structuration autour d’agences de talent, chargées de gérer leur image et leurs stratégies.

Souvent critiqués et décrédibilisés pour leurs activités jugées frivoles et superficielles, d’autres voient ces activités comme un véritable métier, dont il ne faut pas négliger la puissance et l’importance. En effet, leur impact sur les modes de vie, de consommation et les représentations est considérable. En effet, certains influenceurs diffusent des visions stéréotypées, qui participent à influencer les perceptions des communautés en ligne. Devenus de puissants leviers de communication, ils se retrouvent face à des enjeux et dangers multiples. Cet article propose d’explorer leur rôle, les enjeux, les stratégies numériques et les dérives liés à leur activité, dans un environnement où les jeunes occupent une place centrale.

Les influenceurs : nouvelles figures de l’économie numérique

Qu’entend-t-on par “influenceur” ? Un influenceur est une personne qui s’appuie sur les plateformes numériques pour diffuser ses opinions, idées et promouvoir des produits auprès d’un large public (2). Leur objectif est de rassembler une communauté en ligne et de capter l’attention grâce à des contenus attractifs, souvent courts et rythmés. Sollicités par des marques ou entreprises, ces créateurs sont devenus de véritables relais publicitaires : en échange d’une visibilité ou d’une promotion, ils perçoivent une rémunération plus ou moins élevée.

La notion de “créateur de contenu” est apparue très récemment pour atténuer la connotation parfois péjorative du mot “influenceur”, qui peut susciter la méfiance, notamment en raison de leur capacité à orienter les comportements (3). Cette distinction a été initiée par plusieurs créateurs de contenus ne souhaitant pas être associés au marché de l’influence et au marketing. En effet, certains créateurs de contenu présents sur YouTube et Twitch publient du contenu plutôt axé sur le divertissement, l’humour et les jeux vidéo comme Squeezie par exemple. Leur contenu repose sur des opérations de marketing et de placements de produits contrairement à certains influenceurs (exerçant des activités télévisées de téléréalité) qui construisent leur contenu uniquement sur la promotion de produits ou du dropshipping. Nous pouvons alors distinguer plusieurs catégories d’influenceurs, avec des activités et un contenu qui peut différer.

L’influenceur est souvent perçu comme l’intermédiaire entre la marque et le consommateur, qui permet avant tout “d’humaniser” le message publicitaire que l’entreprise réclame (4). Les plateformes les plus investies sont aujourd’hui TikTok et Instagram, devenues si centrales qu’elles ont donné naissance à de nouveaux mots du quotidien comme tiktokeur.se ou encore d’instagrammeur.se. Ces réseaux, largement fréquentés par les jeunes générations (15-30 ans), sont le terrain privilégié d’une influence fondée sur l’immédiateté, la visibilité et l’engagement. Les créateurs de contenus se spécialisent dans des domaines variés tels que la mode, la beauté, la gastronomie ou encore les jeux vidéo. En s’appuyant sur une audience de taille variable, ils collaborent avec des entreprises afin de promouvoir des produits ou des services. Cette activité, parfois perçue comme un loisir gratifiant, est illustrée par Léna Situations, qui affirme ne pas avoir l’impression de travailler tant elle aime ce qu’elle fait quotidiennement (5). Pour elle, comme pour d’autres, le métier semble naturel, plaisant et valorisant.

Cependant, cette profession demeure souvent instable et imprévisible. En effet, les revenus dépendent de la régularité des publications, des partenariats, de la taille de la communauté mais surtout de l’engagement du public (6). Une simple publicité, parfois de quelques secondes, peut rapporter jusqu’à plusieurs milliers d’euros. Si certains en vivent confortablement, d’autres choisissent d’exercer cette activité en parallèle d’un emploi. C’est le cas de la créatrice de contenu CamilleBrlc, qui cumule plusieurs sources de revenus en fin de mois, notamment grâce à UberEats et certains réseaux sociaux. Ses vidéos lui rapportent jusqu’à 450 euros sur YouTube et entre 500 et 3 000 euros sur TikTok, des montants variables selon la fréquence de ses publications et l’algorithme. Dans l’une de ses vidéos TikTok, elle partage en toute transparence avoir réalisé trois collaborations rémunérées en un mois, pour un total de 1434 euros. Avec une communauté relativement petite (100 000 abonnés sur TikTok), nous pouvons en déduire que les gains issues de collaborations peuvent être bien plus importants pour des créateurs bénéficiant d’une audience plus large. Elle rappelle cependant que l’URSSAF prélève une part non négligeable de ses revenus. D’un autre côté, Fleur, créatrice de contenu et cheffe d’entreprise suivie par plus d’un million d’abonnés sur TikTok, insiste sur l’importance du taux d’engagement de sa communauté, c’est-à-dire la réactivité de sa communauté. Elle évoque avoir perçu 2 500 euros pour une collaboration comprenant trois vidéos publiées sur TikTok.

Au-delà de la simple promotion commerciale, ces créateurs génèrent des effets de vente indirects : en partageant leur quotidien, leurs préférences ou leurs recommandations, ils parviennent à instaurer une relation de proximité avec leur audience. Cette relation de confiance pousse les abonnés à consommer sans nécessairement percevoir l’intention commerciale du message. A noter que d’autres influenceurs ne cherchent pas uniquement un gain financier et partagent du contenu par passion, pour se divertir et entretenir un lien avec leur communauté. Lorsqu’un influenceur recommande un produit, cela peut suffire à déclencher un achat immédiat, tant ces pratiques s’appuient sur des leviers psychologiques puissants. La frontière entre publicité et recommandation personnelle s’efface : les internautes ont l’impression de recevoir un conseil d’ami, ce qui renforce leur réceptivité et leur confiance. Cette proximité favorise alors l’adhésion aux tendances : l’effet de mode incite à désirer ce qui est présenté, dans le but de se conformer à certaines normes sociales. L’effet de groupe joue également un rôle majeur puisque la validation massive d’un produit par d’autres influence les comportements d’achat. Par ailleurs, les offres limitées dans le temps ou en stock créent un sentiment d’urgence et stimulent un réflexe d’achat compulsif, nourri par la peur de rater une opportunité “exceptionnelle”. Ces mécanismes reposent entièrement sur des plateformes numériques et des algorithmes, qui deviennent ainsi des acteurs centraux d’une économie digitalisée, en constante évolution et qui redéfinit les logiques traditionnelles du commerce.

Les influenceurs multiplient les placements de produits dans le but d’augmenter leurs revenus. Parfois, des contrats sont proposés sur plusieurs mois ou plusieurs années, ce qui permet à l’influenceur d’obtenir une forme de reconnaissance des marques. La régularité de la promotion renforce la confiance et la crédibilité du message diffusé. Pour les marques, ces collaborations représentent un véritable levier commercial : ils utilisent leur image et le lien de confiance avec leur communauté pour inciter à l’achat (7). Cependant, cette activité, en apparence attractive, repose sur une économie fragile et instable. Nombreux sont ceux qui, face à l’incertitude des partenariats, se retrouvent dans une forme de précarité professionnelle. Cette vulnérabilité et dépendance aux plateformes a été mise en lumière en janvier 2025, lorsque la plateforme TikTok a été brièvement bannie aux Etats-Unis. Cette suspension a provoqué une vague d’inquiétude parmi les créateurs de contenu américains, dont l’activité reposait exclusivement sur cette plateforme (8).

Le sociologue Joseph Godefroy s’est penché sur ce phénomène en étudiant les trajectoires de plusieurs influenceurs (9). Il en tire un le constat suivant : “A travers les réseaux sociaux numériques, des hommes et des femmes se détachent de la traditionnelle séparation entre travail et loisir, temps professionnel et temps libre, et apprennent à valoriser la pluriactivité et le mélange des temps. Ils se familiarisent avec une subordination discrète qui emprunte les apparences de la convivialité, s’habituent à mélanger loisir et consommation [...]. Ils développent ainsi une disposition à investir leur espace domestique et leur propre corps à des fins productives et commerciales.”

Par ailleurs, il est important de souligner que ce métier peut être confronté à une pression constante (de la part des marques mais aussi une charge mentale imposée à soi-même). En ce qui concerne ceux qui vivent pleinement de ces activités, ils peuvent être exposés à un stress important lié à la production régulière de contenu afin de maintenir l’attention de leur audience. Ils doivent également soigner leur image et paraître authentique. Ce métier, qui peut sembler enviable, dévient éprouvant et exigeant dès lors que la taille de l’audience augmente.

Capter l’attention des jeunes : quelles stratégies de communication

L’influence exercée par les créateurs de contenus est souvent discrète, voire imperceptible, notamment pour les jeunes, qui constituent leur public principal (10). Moins bien armés pour décoder les mécanismes de communication commercial, les jeunes peuvent se montrer plus réceptifs et moins critiques face à ce qu’ils voient ou entendent sur les réseaux sociaux. Les placements de produits, partenariats ou invitations ne sont pas toujours clairement identifiés comme tels. Dans une logique marketing, ils cherchent à conserver une image sincère et accessible et évitent généralement d’exposer ouvertement leurs gains afin de ne pas compromettre la relation de confiance établie (11). Cependant, d’autres adoptent la logique inverse en partageant ouvertement leurs revenus : cette honnêteté et cette transparence plaît beaucoup à certaines communautés, bien qu’elle soit tout de même assez rare.

Comme le montre la figure ci-dessous, leur crédibilité repose en grande partie sur cette relation de confiance, qu’ils cultivent à travers une image authentique de proximité avec leur communauté.

Figure : Représentation pyramidale de l’influence

Source : Aurélie Siou, “Influenceurs de tous bords, indignez-vous !”, in Cision, 8 sept 2022. https://www.cision.fr/ressources/infos-metiers-rp-et-communication/Influenceurs-de-tous-bords-indignez-vous

A travers des formats courts et spontanés, les influenceurs encouragent la logique du “likez, commentez, partagez, abonnez-vous”, qui leur permet de gagner en visibilité grâce aux algorithmes.  Cette dynamique renforce la diffusion de leurs contenus, ce qui accroît leur capacité à influencer les décisions ou intentions d’achat. En retour, leur crédibilité auprès des marques augmente, renforçant ainsi leur attractivité pour de futurs partenariats. Les formats percutants développés sur TikTok sont parfaitement maîtrisés et s’adaptent à l’attention fragmentée des jeunes. Tandis que d’autres consomment des formats beaucoup plus longs, développés et travaillés, plutôt axés sur le divertissement, qui favorisent le dialogue au sein de la communauté.

Le chercheur Mehdi Khamassi, spécialiste en sciences cognitives, souligne que “l’attention des individus est aussi précieuse que le pétrole dans l’économie industrielle” (12). Il évoque une économie de l’attention comme “un modèle économique qui consiste à capter notre attention et à la maintenir engagée pour, entre autres, augmenter le prix des espaces publicitaires” (13). Cette logique se trouve au cœur des stratégies numériques des influenceurs, qui doivent susciter l’intérêt en quelques secondes. Selon une étude de Microsoft, le temps moyen d’attention serait désormais réduit à 8 secondes (14). Ainsi, les influenceurs présents sur TikTok visent à ne pas dépasser ce seuil, ce qui favorise une consommation rapide, passive, voire compulsive, qui peut d’ailleurs avoir des effets délétères.

Parallèlement, les réseaux sociaux ont évolué pour devenir de véritables places de marché numériques. L’exemple de TikTok Shop illustre cette transformation : cette fonctionnalité permet aux influenceurs de vendre des produits en direct via des diffusions en live notamment (15). Ces ventes s’adressent à une audience jeune, de plus en plus exposée à des logiques marchandes intégrées directement à leur environnement numérique quotidien.

Figure : Visuel de l’onglet Tik Tok Shop

Source : Newsroom, Tik Tok

Ces activités numériques représentent une véritable source de revenus, rendant le métier d’influenceur particulièrement attractif aux yeux des jeunes. Toutefois, cette attractivité repose souvent sur une vision idéalisée, mettant en avant une réussite rapide et accessible. Par ailleurs, dans un environnement gouverné par des algorithmes puissants, les comportements en ligne sont largement conditionnés : les jeunes peuvent ainsi être influencés sans même en avoir conscience, en adoptant des attitudes ou des comportements qui incitent à consommer des produits suggérés par des contenus artificiels (où la sincérité des recommandations doit être interrogée). A titre d’exemple, l’influenceur Anthony Mathéo, qui cumule près d’un million d’abonnés, a fait la promotion d’injections d’acide hyaluronique sur ces réseaux sociaux sans la présence d’un médecin. La direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes est intervenue pour appliquer des sanctions (16).

Les dangers de ces pratiques numériques d’influence

Ces pratiques numériques ne sont pas nouvelles : les techniques visant à capter et retenir l’attention des consommateurs existait déjà dans la publicité traditionnelle (17). Toutefois, avec l’essor des réseaux sociaux, ces stratégies ont pris une nouvelle ampleur. Elles permettent aux influenceurs de monétiser leur présence en ligne, mais suscitent également de nombreuses interrogations quant à leurs effets.

La jeunesse, particulièrement active sur ces plateformes, se trouve en première ligne face à ces contenus. Cible privilégiée des influenceurs, elle est exposée à un flux constant de recommandations, de placements de produits ou de récits de vie idéalisés. Cette exposition peut engendrer une forme d’addiction numérique, avec des conséquences sur la concentration, le sommeil ou encore la santé mentale (18). En valorisant une vie rythmée par les privilèges (produits gratuits, avantages), les influenceurs véhiculent une image séduisante de leur métier. Ce décalage entre la réalité des jeunes et la vie exposée sur les réseaux sociaux peut générer de l’envie ou un sentiment d’infériorité pour finalement alimenter l’illusion que cette réussite est accessible sans effort et pour tous.

On évoque souvent l’abrutissement chez les jeunes, lié à une consommation excessive et passive des contenus sur les réseaux sociaux (19). La notion de brain rot, aussi appelé abrutissement numérique ou pourrissement cérébral, a été proposée comme mot de l’année 2024 par l’université Oxford. Elle signifie la “dégradation mentale liée à une consommation excessive de contenus numériques de mauvaise qualité” (20). Cette notion est un phénomène nouveau pouvant provoquer des effets néfastes sur la santé cognitive. La pratique du scroll, c’est-à-dire défiler les publications de manière continue, est devenue automatique pour beaucoup d’internautes, et presque compulsive. Cette habitude perturbe le rapport au temps et diminue la concentration (21). Selon un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé de 2024, une forte augmentation de l’utilisation problématique des réseaux sociaux chez les adolescents a été remarquée (22). L’étude montre que l’addiction à ces outils peut avoir de sérieux impacts sur la santé mentale des jeunes. L’étude conclue en prévenant sur les risques liés à une surconsommation des réseaux sociaux : “Il est clair que nous devons sans attendre mener une action soutenue pour aider les adolescents à se détourner de l’utilisation potentiellement préjudiciable des médias sociaux, dont il a été démontré qu’elle mène à la dépression, au harcèlement, à l’anxiété et à de mauvais résultats scolaires.”. Les influenceurs contribuent à entretenir cette dynamique en proposant des contenus répétitifs destinés à solliciter leur audience, dans une optique de consommation. S’ils ne sont pas les seuls responsables de cette addition numérique, ils participent néanmoins à un écosystème qui en accélère les effets.

Par ailleurs, l’influence peut aussi être mise au service de pratiques problématiques, voire frauduleuses. Certains influenceurs exploitent leur notoriété pour promouvoir des produits ou des services mal contrôlés, parfois au détriment de leur communauté. Par exemple, le dropshipping, illustre ces dérives : il s’agit de faire la promotion d’un produit qui n’est pas physiquement détenu par l’influenceur, mais directement expédié par un fournisseur souvent inconnu du client (23). En cas de problème, l’acheteur se retrouve sans recours réel. Ce manque de transparence crée ainsi un déséquilibre entre le vendeur et le consommateur. Nathalie Fleck, maître de conférence en marketing, s’interroge d’ailleurs : “Peut-on croire un influenceur payé pour recommander un produit ?” (24). Cette zone grise entre publicité et recommandation personnelle soulève de réels enjeux éthiques et légaux, en particulier quand ces pratiques ciblent des publics jeunes et vulnérables. Par ailleurs, tous les influenceurs ne se limitent pas à des placements de produits ou des partenariats : certains orientent leur activité vers des contenus plus idéologiques ou politiques, utilisant leur notoriété pour défendre un discours, notamment en période électorale (25). En 2021, le président de la République a participé à une vidéo humoristique sur la chaîne de McFly et Carlito, très populaires sur YouTube, qui a cumulé près de 20 millions de vues. La présence du chef de l’Etat sur cette chaîne a entraîné beaucoup de critiques de la part de leurs abonnés, particulièrement jeunes. Certains ont attribué sa participation à une récupération politique dans l'objectif de gagner en popularité auprès de la jeunesse française. C’est justement la stratégie adoptée par Pierre Edouard Stérin, milliardaire qui possède plusieurs médias et finance en partie le réseau d’influenceurs Acutis, majoritairement composé de profils chrétiens et conservateurs (26). En vue des élections présidentielles de 2027, il mise sur la relation de confiance que ces influenceurs entretiennent avec leur audience pour tenter d’orienter le vote des jeunes.

En outre, TikTok a mis en place un dispositif destiné à récompenser les créateurs dont les vidéos génèrent un fort taux de vues, intitulé Creator Rewards Program. Ce programme incite à produire des contenus engageants (27), parfois au détriment de leur véracité, où des informations non sourcées peuvent alors être présentées. La désinformation peut représenter un risque réel pour la construction intellectuelle et sociale des consommateurs. L’influenceur Alex Hitchens en est un exemple emblématique : connu pour ses conseils en séduction, il a été vivement critiqué pour la dimension sexiste et misogyne de son discours (28). A travers ses formations payantes et ses vidéos virales, il capitalise sur une audience jeune et masculine. Sa médiatisation a été telle qu’il a récemment été auditionné par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’impact de TikTok sur la santé mentale des jeunes (29). Cette convocation illustre les inquiétudes croissantes liées à l’influence numérique sur les valeurs et comportements de la jeunesse.

Finalement, l’influence ne se résume pas à un levier commercial : elle façonne aussi les opinions et le comportement social. Certains influenceurs investissent le champ politique. C’est le cas de HugoDécrypte, suivi massivement par des jeunes, qui vulgarise l’actualité politique de manière pédagogique. Son contenu, apprécié pour sa clarté et son accessibilité, peut contribuer à éveiller une conscience politique chez les jeunes (30). Toutefois, cette activité doit être encadrée avec précaution, car elle peut soulever des questions notamment en ce qui concerne la neutralité journalistique (31).

Figure : Les pratiques numériques de l’influence et leurs effets sur les consommateurs

Alice Maga, CEDIRE, 2025.

Quel encadrement des influenceurs ?

Face à ces risques majeurs que posent les pratiques des influenceurs, notamment sur les jeunes consommateurs, la régulation de la profession et l’encadrement des outils numériques sont devenus indispensables en France (32). C’est pourquoi il est crucial de mettre en avant les efforts entrepris pour encadrer ces activités, tout en soulignant les limites de ces dispositifs.

Encadrer les revenus des influenceurs est aujourd’hui une nécessité. Les sommes qu’ils perçoivent s’inscrivent dans le cadre des prélèvements obligatoires, ce qui implique qu’ils doivent déclarer leurs gains et s’acquitter de l’impôt sur le revenu ainsi que les cotisations sociales (33). Cependant, certains tentent de contourner ces obligations fiscales en s’expatriant dans des pays à fiscalité avantageuse, comme les Emirats arabes unis. En effet, Dubaï est devenu une destination prisée pour certains influenceurs, à condition d’y établir  une résidence permanente (34).

Au-delà de la question fiscale, le contrôle des contenus diffusés constitue un enjeu majeur. Depuis l’adoption de la “loi influenceurs” en 2023, ils ont désormais l’obligation de mentionner explicitement toute collaboration commerciale dans leurs publications (35). Cette transparence vise à protéger les communautés en ligne contre des contenus trompeurs, retouchés ou déguisés en recommandations personnelles. Les influenceurs sont également tenus de respecter des règles strictes concernant la promotion de produits sensibles tels que l’alcool ou les médicaments. Pour encourager des pratiques éthiques, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) a proposé un certificat d’influence responsable (36). En cas de manquement, les influenceurs s’exposent à des sanctions : peines de prison, amendes ou interdiction d’exercer. Ces exigences, portées à la fois par les marques et les pouvoirs publics, s’inscrivent dans une démarche de transparence et d’authenticité vis-à-vis des audiences. Cependant, elles peuvent susciter des tensions avec les influenceurs, parfois réticents à ces formes de contrôle. Le gouvernement français cherche néanmoins à réduire les dangers liés à certaines pratiques numériques, en encadrant davantage ce secteur en pleine expansion, où les dérives persistent (37).

Très récemment, une audition parlementaire s’est tenue à l’Assemblée nationale pour aborder les effets psychologiques de l’usage de TikTok sur les jeunes. Présentée comme un espace de débat sérieux sur l’algorithme de la plateforme et les dérives qu’il peut engendrer (contenus violents, sexualisés ou radicaux) (38), cette initiative a pourtant provoqué un tollé médiatique et suscité de vives critiques dans l’opinion publique. L’objectif initial était de donner la parole à plusieurs influenceurs français présents sur TikTok afin qu’ils témoignent de leurs pratiques, de leur rapport à la plateforme et de leur perception de TikTok sur le comportement des jeunes. Cependant, le déroulement de ces auditions a suscité de vives critiques, notamment pour l’attitude de certains participants. La décision de diffuser publiquement et de rendre accessible en direct ces échanges a transformé l’initiative en spectacle, détournant l’attention des enjeux de fond.

Une jeune influenceuse convoquée nommée Anna Baldy (“Bavardage” sur TikTok) s’est exprimée durant cette commission d’enquête et dresse un discours ambivalent sur la plateforme : “TikTok est un lieu d’accessibilité de l’information gratuite. C’est un des rares espaces médiatiques que les jeunes peuvent investir pour faire entendre leur parole. Mais je ne ferais pas l’éloge de TikTok sans évoquer mes réelles inquiétudes : je me questionne quant à la propagation d’informations fausses ou simplifiées, sorties de leur contexte, souvent clivantes et détournées pour faire peur, pour polariser, en jouant des mêmes biais cognitifs et rhétoriques que ceux manipulés par les plus grands propagandistes de nos heures sombres. Je m’inquiète du fait que des enfants de 13 ans aient accès à une telle information. Je m’inquiète des bulles algorithmiques qui peuvent nous enfoncer dans une spirale de pensée mauvaise pour nous-même et pour les autres.”. Elle exprime ici une position ambivalente à l’égard de TikTok, reconnaissant d’un côté son importance et l’influence du réseau social, tout en alertant sur les risques qu’il présente, en particulier sur les mineurs. Elle insiste notamment sur le phénomène de cyberharcèlement dont elle est victime comme de nombreux utilisateurs. Face à ces dérives, elle plaide pour un encadrement plus strict et une régulation concrète afin de mieux protéger cet espace (39).

Se pose alors la question de l’efficacité réelle des dispositifs réglementaires encadrant l’activité des influenceurs. En effet, certains influenceurs se contentent de mentionner les termes “publicité” ou “sponsorisé” en bas des descriptions, de façon à ce qu’il soit peu visible par les internautes. Afin de lutter contre ces pratiques frauduleuses, le site Signal Conso permet aux consommateurs de signaler les infractions, notamment en cas de non-respect des obligations d’information. Plusieurs associations mènent un travail de veille afin de repérer les contenus problématiques et d’alerter les autorités compétentes (40). En réponse à ces dérives, le ministère de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a publié en décembre 2023 un “Guide de bonne conduite du secteur de l’influence commerciale”. Ce document, destiné aux influenceurs et aux marques, précise les droits et devoirs à adopter sur les plateformes en ligne (41). Il vise avant tout à professionnaliser un secteur encore jeune et parfois opaque, tout en responsabilisant les créateurs de contenu sur leur impact, qu’il soit positif ou négatif.

En Australie, le gouvernement a adopté une loi visant à interdire les réseaux sociaux aux jeunes de moins de 16 ans, invoquant des préoccupations liées à la santé mentale des jeunes (42). Cette décision, une première mondiale, entrera en vigueur en novembre 2025 et imposera aux plateformes de vérifier efficacement l’âge de leurs utilisateurs. L’initiative australienne rappelle la position de la Chine à propos du réseau social TikTok. En effet, plusieurs restrictions strictes encadrent l’usage de la plateforme chinoise comme par exemple la limitation à 40 minutes d’utilisation par jour pour les jeunes de moins de 14 ans (43). Ces mesures traduisent une volonté croissante des Etats de reprendre le contrôle face à l’influence des réseaux sociaux sur la jeunesse. Une telle interdiction pourrait-elle être envisagée en France ?

Conclusion

Les stratégies numériques déployées par les influenceurs s’inscrivent dans une logique marchande, alimentée par l’attention, la visibilité et la capacité à orienter les comportements. A travers des formats particuliers, ils façonnent les esprits et les dynamiques commerciales. Au croisement du marketing, du divertissement et de la culture, leur rôle dépasse la simple création de contenus : ils détiennent un pouvoir d’influence considérable sur les opinions. Cette influence, portée par des logiques commerciales et performatives, peut cependant avoir des effets néfastes, en particulier au sein de la jeunesse. Nous avons pu remarquer les nombreux risques de ces activités, intrinsèquement liés aux réseaux sociaux et aux plateformes numériques.

Bien que leur rôle soulève de nombreux enjeux, il serait réducteur de limiter cette profession à une vitrine publicitaire où seuls les placements de produits règnent. En effet, certains influenceurs mobilisent leur notoriété dans une tout autre démarche, en sensibilisant leur communauté à des causes ou bien en divertissant à travers des passions ou des loisirs. Loin de se cantonner à la promotion de produits, le métier d’influenceur peut aussi se révéler porteur de messages responsables et constructifs. Finalement, derrière les enjeux économiques, médiatiques et réglementaires, c’est la question du rôle sociétal des influenceurs qui se pose aujourd’hui, dans un paysage numérique en constante mutation.

1. Fleck Nathalie, « Les influenceurs : entre pouvoir, controverses et réinvention », in Dauphine-PSL Paris, 4 avr. 2025.

2.  Influenceurs : définition, objectifs et salaire, https://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Influenceurs-304209.htm, consulté le 24 juin 2025.

3. Monnier Pierre, « Quelle différence entre “créateurs de contenu” et “influenceurs”? », in BFMTV, 27 mars 2023.

4. Godefroy Joseph, « Des influenceurs sous influence  ? La mobilisation économique des usagers d’Instagram », in Travail et emploi, no 1, vol. 164165, 2021, p. 59‑83.

5. Léna Situations : son parcours inspirant révélé, https://www.brut.media/fr/videos/culture-lifestyle/reseaux-sociaux/lena-situations-raconte-son-parcours, consulté le 5 juillet 2025.

6. « Influenceurs : la face cachée du métier de créateur de contenu digital », in BBC News Afrique, 27 juill. 2022.

7. Godefroy Joseph, « Des influenceurs sous influence  ? La mobilisation économique des usagers d’Instagram », in Travail et emploi, no 1, vol. 164165, 2021, p. 59‑83.

8. Marie J., « TikTok interdit puis rebranché aux États-Unis : retour sur plusieurs mois de tensions en cinq actes », in Ouest-France, 20 janv. 2025.

9. Godefroy Joseph, « Des influenceurs sous influence ? La mobilisation économique des usagers d’Instagram », in Travail et emploi, no 1, vol. 164165, 2021, p. 59‑83.

10. Fleck Nathalie, « Les influenceurs : entre pouvoir, controverses et réinvention », in Dauphine-PSL Paris, 4 avr. 2025.

11. N’Goala Gilles et Collin-Lachaud Isabelle, « Marketing et influence : à la recherche d’une légitimité perdue », in Décisions Marketing, no 1, vol. 105, 18 mai 2022, p. 5‑9.

12. « Préserver son attention à l’heure du numérique : entretien avec Mehdi Khamassi, chercheur à l’ISIR », in Sorbonne Université, 17 avr. 2024.

13. Ibid.

14. McSpadden Kevin, « You Now Have a Shorter Attention Span Than a Goldfish », in TIME, 14 mai 2015.

15. Guilbaud Mathilde, « TikTok Shop : nos conseils avant d’utiliser ce télé-achat plus divertissant, addictif et risqué », in Ouest-France, 2 avr. 2025.

16. Grably Raphaël, « Arnaques, produits dangereux: la liste des 14 influenceurs épinglés par la DGCCRF au cours de l’été », in BFMTV, 4 sept. 2023

17. « Préserver son attention à l’heure du numérique : entretien avec Mehdi Khamassi, chercheur à l’ISIR », in Sorbonne Université, 17 avr. 2024.

18. Bremond Pierre, Influenceurs et marketing: leur impact sur la santé mentale des jeunes, https://www.dianova.org/fr/nouvelles/influenceurs-et-marketing-leur-impact-sur-la-sante-mentale-des-jeunes/, 1 avril 2025, consulté le 2 juillet 2025.

19. Hartmann Théophane, « Addiction, abrutissement, souffrance : TikTok et les risques de troubles psychologiques », in Euractiv FR, 13 mai 2023.

20. Un mot pour un mal. Oxford déclare « Brain rot » [pourriture cérébrale] expression de l’année 2024 !, https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/un-monde-connecte/d-un-mot-aux-maux-oxford-designe-bain-rot-ou-pourriture-cerebrale-comme-expression-de-l-annee-2024-8877231, 5 décembre 2024, consulté le 15 juillet 2025.

21. Gentina Elodie, « Le « doomscrolling », cette habitude inquiétante pour la santé mentale des adolescents », in Ouest-France, 26 sept. 2022.

22. Les adolescents, les écrans et la santé mentale, https://www.who.int/europe/fr/news/item/25-09-2024-teens--screens-and-mental-health , 2024,  consulté le 15 juillet 2025.

23. Laurent Samuel, « Influenceurs : une litanie d’affaires autour de leurs pratiques et de leurs promotions », in Le Monde, 27 mars 2023.

24. Fleck Nathalie, « Les influenceurs : entre pouvoir, controverses et réinvention », in Dauphine-PSL Paris, 4 avr. 2025.

25. Tual Morgane, « Législatives 2024 : chez les influenceurs, la gauche respire, l’extrême droite fulmine », in , 8 juill. 2024.

26. Lemahieu Thomas, « Extrême droite et cathos : à la tête de la reconquista digitale, des influenceurs de combat », in L’Humanité, 19 déc. 2024

27. Introducing the New Creator Rewards Program, https://newsroom.tiktok.com, consulté le 8 juillet 2025.

28.  Alex Hitchens, influenceur masculiniste, banni par TikTok, https://www.radiofrance.fr/mouv/podcasts/la-chronique-de-jules-thiebaut/la-chronique-de-jules-thiebaut-du-vendredi-13-juin-2025-9073421 , 13 juin 2025, consulté le 7 juillet 2025.

29. Defer Aurélien, « Comment l’influenceur masculiniste Alex Hitchens tire parti de son audition à l’Assemblée nationale », in Le Monde, 18 juin 2025.

30. Analyse comparative de l’audience entre Hugo Décrypte et Le Monde : l’impact du format, https://www.saper-vedere.eu/etudes/comparatif-de-laudience-entre-hugo-decrypte-et-le-monde-le-format-va-tout-emporter-sur-son-passage/, consulté le 7 juillet 2025.

31. Irsuti Morgane, « Les influenceurs ont-ils permis d’éveiller une conscience politique chez certains jeunes ? », in Radio France, 15 juill. 2024.

32. Influenceurs et créateurs de contenus : des mesures pour encadrer et accompagner les professionnels du secteur, https://www.economie.gouv.fr/influenceur-createur-contenu-mesures-encadrement, consulté le 12 juillet 2025.

33. Maury Stéphanie, « L’impact de la domiciliation fiscale des influenceurs : Dubaï, le nouvel eldorado ? », in Légipresse, no HS2, vol. 66, 2021, p. 29‑41.

34. Ibid.

35. Fleck Nathalie, « Les influenceurs : entre pouvoir, controverses et réinvention », in Dauphine-PSL Paris, 4 avr. 2025.

36. Ibid.

37. Defer Aurélien, « Un an après son adoption, les premiers effets de la « loi influenceurs » », in Le Monde, 1 juin 2024.

38. Durand Klara, « A l’Assemblée, bataille d’influence entre députés et créateurs de contenus », in Politico, 17 juin 2025.

39. Effets psychologiques de TikTok sur les mineurs : poursuite des travaux de la commission d’enquête, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/actualites-accueil-hub/effets-psychologiques-de-tiktok-sur-les-mineurs-poursuite-des-travaux-de-la-commission-d-enquete5, consulté le 3 juillet 2025.

40. Fleck Nathalie, « Les influenceurs : entre pouvoir, controverses et réinvention », in Dauphine-PSL Paris, 4 avr. 2025.

41. Guide de bonne conduite : influenceurs et créateurs de contenu, https://www.economie.gouv.fr/guide-bonne-conduite-influenceurs-createurs-contenu, consulté le 3 juillet 2025.

42. Dellerba Isabelle, « L’Australie va interdire les réseaux sociaux aux moins de 16 ans », in Le Monde, 9 déc. 2024.

43. Six Nicolas, « La Chine limite le temps d’utilisation de TikTok à 40 minutes par jour chez les moins de 14 ans », in Le Monde, 20 sept. 2021.

Comment les influenceurs façonnent la consommation des jeunes sur les réseaux sociaux ?

Les influenceurs constituent désormais une profession à part entière au sein de l’économie numérique. Largement dépendants des réseaux sociaux, ils s’appuient sur les algorithmes pour accroître leur visibilité et générer des revenus. Devenus des acteurs puissants du cyberespace, ils façonnent et orientent les comportements de consommation, notamment de la jeunesse. En France, leur impact grandissant suscite des questionnements au sein de l’opinion publique et interpelle la sphère politique. En brouillant la frontière entre création de contenu personnel et promotion commerciale, ils soulèvent de nombreux enjeux sociaux, économiques et éthiques.
Télécharger